Cela remonte à quelques années déjà. C'était quand j'étais encore petite, une enfant de treize ans à peine. Au départ c'était un simple jeu entre mes cousins et moi. Des défis entre gosses, on voit cela tout le temps. Mais pas ce genre là, eux ils étaient différents. Leur père était un homme assez spécial. Je ne l'aimais pas, il m'inspirait de la crainte. Et ses fils avaient hérité de lui certaines caractéristiques. Notamment... ce côté bizarre. Ils avaient donc décidé que l'on jouerait dans le jardin à une sorte d' "action-vérité" modernisé. Le concept était simple: on choisissait action ou vérité mais si on choisissait vérité on s'exposait à devoir accomplir une action en rapport avec ce que l'on allait révéler si cela manquait d'intérêt pour les autres. Par exemple: si je répondais que je n'avais jamais rien volé, mes cousins pouvaient trouver l'info ennuyeuse et m'obliger à aller voler quelque chose tout de suite. Ce genre d'exercice m'effrayait. J'étais à l'époque une enfant encore assez sage, douce, naïve et tranquille. Je n'aimais pas sortir des sentiers battus. En vérité je craignais le monde extérieur. Du coup ce jour-là quand ils avaient crié "Oh oui jouons à Action-vérité version améliorée!!!" j'ai couru me cacher dans ma chambre. Et c'est ainsi, là où je me pensais à l'abri, que j'ai vécu une des pires expériences de ma vie. Quand je les ai entendus monter les escaliers, je pensais qu'ils venaient me chercher. Je me suis vite glissée sous mon lit et dans mon élan, mes cheveux ont traversé la flamme d'une des bougies parfumées de maman. Tellement paralysée par la peur qui m'a assaillie en voyant mes cheveux brûler, je suis restée immobile pendant quelques secondes. J'étais incapable de bouger. Dylan et Jérémy m'ont trouvée et ce sont eux qui ont éteint le feu. Je me suis regardée dans la glace, défigurée par cette coupe bizarre et les cheveux fondus noirs qui s'entremêlaient autour de mon visage et j'ai eu peur. Pour la première fois, j'ai eu peur mais plus des autres.... de moi. J'ai réalisé que j'étais la seule responsable. C'était ma faute. Mon caractère faible et doux m'avaient mené à cette catastrophe. La jolie demoiselle que j'étais allait devoir se trimbaler une coupe à la garçonne pendant des semaines. Tout ça parce que je voulais me cacher d'un jeu, d'un jeu stupide. Ce jour-là quelque chose a changé en moi. Dylan caressait mon dos tendrement et cherchait à m'apaiser. J'ai fixé son reflet dans mon miroir jusqu'à rencontrer son regard. "Tu as déjà embrassé une de tes cousines?" Il ne comprenait pas ma question. Dylan avait 16 ans et à peu près 46 cousines vu que son père s'était remarié quatre fois. "Non. Pourquoi?" Je me suis retournée et l'ai regardé droit dans les yeux. J'avais une coiffure immonde mais je m'en fichais. Je sentais le pouvoir affluer au fur et à mesure que je formulais mes phrases en pensée. Il ne me restait plus qu'à les dire à voix haute. "Ok, alors je te défie de le faire maintenant." Il m'a regardé toujours perplexe. Il comprenait tout doucement où je voulais en venir. "Eliana... tu sais on te provoque beaucoup mais c'est parce qu'on sait que tu es innocente. Et te voir rougir nous amuse. Mais on ne cherche pas vraiment à te transformer. Une fois que tu fais un pas dans ce chemin, il n'y a pas de retour possible. Tu es sûre que..." "Que de sagesse cousin." Je me suis avancée vers lui et je l'ai embrassé. "Je m'ennuyais depuis trop longtemps de l'autre côté de ce chemin." Voir mes cheveux brûler avait tout changé. C'était comme si toute la personne que j'étais s'était envolé en fumée. Mais j'étais toujours vivante. Même plus qu'avant. Ce baiser, l'interdit entre membres de la famille n'était que le premier pas d'une succession d'interdits que j'allais transgresser au cours des années. Et mon but était celui de garder le contrôle, de ne plus jamais me laisser paralyser par la peur.

Et j'ai bien réussi. Pendant longtemps j'ai gardé le contrôle. A tel point que j'ai eu des relations dans ma vie où je ne faisais que cela: contrôler. Pour le seul plaisir de donner des ordres. Les sentiments dans tout ça? J'y ai renoncé quand j'ai compris que Dylan et moi nous ne pourrions jamais être ensemble. La peine que cela m'avait procurée quand à l'âge de 21 ans je m'étais fait plaquée par mon cousin m'avait donné pour nouvelle résolution de ne plus me laisser contrôler par mes sentiments non plus. La peur et les sentiments vont souvent de pair en plus. La seule solution était de me placer de l'autre côté de la barrière et de les dominer. Et puis j'ai rencontré Tyler. Il était une chanson douce à mes oreilles dès le début. Bien qu'il n'ait été pour commencer qu'un homme comme les autres: un de ceux que j'apprivoisais dans le but d'en faire un de mes parfaits petits soldats... j'ai fini par prendre goût à nos jeux. Et ces derniers sont devenus dangereux. Trop. Je ne le reconnaîtrai jamais ouvertement mais parfois j'ai perdu le contrôle. Et même si ce sentiment semblait divin pendant quelques secondes... il m'effrayait au plus haut point. Et cette peur me retransformait en la petite ado paralysée et incapable d'agir. Pourtant je n'ai pas fui directement. J'ai voulu dompter mes démons en le dominant mieux et plus fort. Sans jamais parvenir à le faire totalement. Et c'est lui qui est parti finalement. Ill n'est qu'une page du passé. Une page qui semble avoir une incidence sur le chapitre présent car Tyler est de nouveau sur mon chemin, peut-être bien par ma faute. Depuis j'ai encore évolué et je suis plus apte à ME contrôler. Mais le souci est que je ne sais pas si l'envie de LE contrôler ne risque pas de revenir à moi comme une drogue que jamais l'on n'oublie. Après tout je suis bien ici, à quelques kilomètres de lui non?